mercredi 3 juillet 2013

Sous l'orage


Quand l'orage éclate, elle est à mi-chemin ; elle marche sur la chaussée, un sac de livres à la main ; aux premiers grondements, ses pieds dans ses ballerines trop grandes se recroquevillent et son corps se tend, prêt à repousser les gouttes de pluies. Elle soulève un peu sa jupe longue pour pouvoir marcher plus vite : peur du rhume et de la foudre. Elle compte les gouttes qui tombent sur sa peau – ronds glacés. Immobile, elle se détend muscle après muscle. Elle s'imbibe d'eau jusqu'à ne plus la craindre, jusqu'à tourner son visage vers le ciel. Le monde entier appuie sur son corps – l'air moite, les torrents d'eau, les arbres qui tonnent, les éclairs sur ses paupières. Le parapluie est inutile face à la violence de l'orage. Ses chaussures s'échappent et glissent dans le caniveau. Elle referme son parapluie et s'accroupit dans l'eau, reprend ses ballerines ; dans sa tête il n'y a plus rien, plus la douleur de la rupture, plus la frustration de ne pas être entendue, plus la sensation de ne pas avancer (mais qu'est-ce que cela peut bien signifier, avancer?), simplement cette constatation : il pleut et je suis sous la pluie. Il pleut et je suis la pluie. Entre cette rue et sa maison il y a la forêt. La jeune fille se sent bien et à l'abri, nue sous l'orage. Pour une fois elle n'est nulle part ailleurs que dans son corps, les pieds nus dans l'eau avec les cailloux qui piquent sous les pieds, là où la peau est tendre ; pour une fois elle ne se sent pas étrangère à la terre, là plantée dans la boue. Ça change des pavés durs et des passants muets aux visages de pierre.
C'est la tête droite qu'elle s'enfonce sur le chemin de béton défoncé, sur le chemin qui devient terre et mousse, sous les arbres déchaînés. Ses chaussures à la main elle sourit. Elle savoure le danger, elle attend le foudroiement avec du désir dans le ventre, sa jupe lourde glisse de ses hanches, ses livres sont bien à l'abri dans le sac plastique, elle les serre fort dans ses bras contre sa poitrine, elle ruisselle et ses oreilles sont saturées du bruit des éléments qui s'entrechoquent, tant et si bien que tout s'arrête d'un coup, un immense silence qui s'arrête à son corps, qui n'existe que pour elle.
Figée sous un coin de forêt.
On pourrait croire qu'elle est folle avec ses cheveux emmêlés noircis par la pluie et ses pieds nus dans l'humus et les orties, mais quoi que les gens disent je ne suis pas folle, seulement triste.

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